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2ème Dimanche de l’Avent - C

Frère Marc-Antoine Béchétoile op

6 décembre 2015

Luc 3, 1-6

« Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées »
Faudrait-il abaisser les montagnes pour que le Seigneur vienne jusqu’à nous ? Mais alors frères et sœurs, nous avons tout faux ! En tout cas, ce qui est étrange, c’est que nous faisons exactement le contraire, nous qui avons plutôt l’habitude de monter sur les montagnes pour y rencontrer Dieu, et d’abord par exemple ici à Chalais !
Au fond, nous savons bien que cette attitude n’est pas étrange mais qu’elle est au contraire enracinée bibliquement. Jésus lui-même dans l’Évangile monte sur la montagne pour prier, pour retrouver son Père dans l’intimité. Dans l’Ancien Testament de même, c’est sur une montagne que Moïse reçoit la Loi du Seigneur, pour ne donner qu’un seul exemple, mais des plus significatifs ! La montagne est donc bien le lieu de la présence de Dieu, et le lieu où l’on peut venir en sa présence.
C’est d’ailleurs ce que nous dit Baruc dans la première lecture. Il s’adresse à Jérusalem, la ville où Dieu veut rassembler son peuple, et cette ville se trouve sur une montagne : « Debout, Jérusalem ! Tiens toi sur la hauteur » lui dit-il. La vision de Baruc prend place alors que le peuple d’Israël est en exil à Babylone, et elle annonce justement la fin de cet exil. Dieu va faire sortir son peuple pour le ramener sur sa terre, à Jérusalem. Au-delà de sa dimension historique, cette vision est aussi eschatologique, elle concerne la fin des temps et nous renseigne sur les plans de Dieu à l’échelle de l’humanité : Dieu veut nous rassembler tous sur sa montagne, pour vivre avec son peuple, pour vivre au milieu de son peuple. Et cette cohabitation sera une consolation. De fait, les textes d’Isaïe, (cité par Luc) ou de Baruc, sont des bonnes nouvelles pour le peuple, car ils sont proclamés sur fond de consolation. « Consolez, consolez mon peuple » dit Isaïe. Il est intéressant d’entendre alors la traduction littérale que propose la Traduction Oecuménique de la Bible pour le verbe consoler : « permettre de pousser un profond soupir de soulagement ». Consoler, ce n’est pas sécher les larmes ou raconter de belles histoires pour dire que ça ira mieux. Non, dans la Bible, c’est permettre de pousser un profond soupir de soulagement, le soupir de celui qui a trouvé un abri, qui expire et expulse toutes les peurs, les tensions, les angoisses qui pouvaient l’habiter, pour inspirer un autre souffle, le souffle de l’Esprit, que le créateur insuffle dans ses narines.
Si l’on en revient à cette vision de Baruc, qui annonce le retour de l’exil à Babylone, on pourrait s’étonner que le prophète s’adresse à la ville, qui est encore vide, dans laquelle personne n’est encore revenu. On aurait pu s’attendre à ce qu’il s’adresse au peuple, aux déportés, pour leur annoncer la bonne nouvelle, pour les encourager et les inciter à prendre la route du retour. Si Baruc parle à Jérusalem, c’est parce que Jérusalem est plus qu’une ville, plus qu’un tas de pierre. C’est en quelque sorte l’incarnation de la promesse de Dieu, la matérialisation de sa fidélité à son alliance avec chaque membre de son peuple. De même que chaque déporté porte dans son cœur l’amour pour sa ville, même s’il n’y a jamais vécu, même s’il est né en captivité, de même nous aussi portons dans notre cœur la marque de l’alliance avec Dieu. Nous avons tous une petite Jérusalem dans le cœur, que le prophète veut aujourd’hui réveiller. Il veut réactiver la mémoire des promesses des Dieu, réactiver en nous la joie, et c’est probablement la première étape de la conversion à laquelle nous appelle le Baptiste dans l’Évangile : réactiver la mémoire de l’alliance avec Dieu, pour trouver la force de crier vers lui. Baruc l’affirme en nous dévoilant aussi le contenu de cette promesse : « Courage, mes enfants, criez vers Dieu ! Il vous arrachera au pouvoir des méchants, à la main des ennemis. (…) Courage, Jérusalem ! Il te consolera, celui qui t’a donné un nom. » (Ba 4, 21 ;30)
La vision de Baruc élargit alors notre compréhension des mots d’Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. » Effectivement, il faut préparer la route au Seigneur car il vient, mais le mouvement ne s’arrête pas là ! Si le Seigneur vient jusqu’à nous, c’est pour nous faire sortir à sa suite, et nous conduire en triomphe jusqu’à sa montagne, jusqu’à la Jérusalem nouvelle, nous qui avons eu la grâce d’entendre sa parole. Mais il vient chercher aussi tous ceux qui peinent sur les chemins tortueux, ceux qui se fatiguent sur les routes déformées, ceux pour qui les montagnes peuvent bien souvent apparaître comme d’infranchissables obstacles. Et l’on sait bien qu’en fait, les frontières entres les deux groupes sont loin d’être étanches. Nous pouvons aussi avoir l’impression d’être perdus, ou en tout cas nous pouvons aussi parfois attendre impatiemment la prochaine marque sur le chemin, qui nous confirmera, qu’entre les montagnes, nous suivons le bon itinéraire, qui nous permettra de pousser le profond soupir de soulagement de celui qui sait qu’il a retrouvé son chemin.
Alors, s’il nous faut effectivement abaisser les montagnes et combler les vallées, ce n’est probablement pas d’abord pour que Dieu puisse venir. Ce serait inverser la logique théologique ! Au contraire, comme le dit ailleurs Isaïe, c’est bien si le Seigneur descend que les montagnes se mettront à trembler. Ce n’est pas non plus simplement pour faire place nette dans notre vie, comme s’il fallait se méfier de la présence de Dieu, de son regard sur la réalité de nos vies que l’on imaginerait accusateur. S’il faut abaisser les montagnes, c’est pour entrer dans le dessein créateur de Dieu, qui nous donne d’y participer pour que toutes les hommes puissent voir la lumière de Dieu et marchent jusqu’à Jérusalem. Sans se perdre dans la vallée de la désespérance, ni s’user à escalader la montagne de la perfection. Sans s’égarer dans les grottes de la honte, ni s’épuiser dans les marais du scrupule. Sans s’évertuer sur le glacier de l’intransigeance, ni patauger dans l’étang de la tiédeur.
Frères et sœurs, j’en reviens à ma question initiale : avons nous tout faux lorsque nous montons sur les montagnes pour y chercher le Seigneur ? Au contraire, c’est peut-être une façon créative de répondre à l’appel de Jean-Baptiste : faire de chaque montagne et de chaque vallée un lieu de repos en Dieu, où l’homme puisse pousser un soupir de soulagement, reprendre souffle et cœur, et voir dans notre joie et dans notre foi, le premier éclat de la lumière qui brille pour toutes les nations !