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Solennité de l'Ascension 2015 - B

Frère Michel Demaison op

14 mai 2015

Marc 16,15-20

Toutes les grandes fêtes chrétiennes célèbrent des arrivées, naissances ou renaissances. Elles rappellent et préfigurent des événements de délivrance et de salut qu’il est bon de chanter ensemble dans de belles liturgies. C’est pourquoi elles nous invitent à la joie. L’Ascension semble faire exception puisqu’elle commémore un départ, une disparition, une absence qui s’annonce longue. Comment trouver de la joie dans la séparation ?
Oui, il y a de la joie dans cette fête aussi, parce qu’elle n’est pas qu’un départ, elle est aussi une arrivée : celle d’un homme, membre de notre commune humanité, dans la pleine lumière du Royaume de Dieu. Un homme réalise enfin le vieux rêve : « Vous serez comme des dieux ! », mais ces mots ne sont plus susurrés par le serpent menteur, ils sont inspirés par l’Esprit de vérité. Jésus, en qui le Fils de Dieu avait pris, assumé, intégré notre condition humaine, avec toutes ses vulnérabilités jusqu’à la mort, Jésus élève cette condition humaine jusqu’à la gloire de son Père. L’un des nôtres a touché le but, il a réalisé ce que Dieu veut de toute éternité, ce qu’il a annoncé, promis, préparé depuis le premier jour : que nous partagions librement sa propre vie, dans l’amour et la paix.
C’est pour nous une source de joie, qui pourrait nous suffire, car nous savons que le Christ élevé dans la gloire est le Premier-Né d’une multitude, que de là où il est, il attire à lui et délivre de leurs chaînes tous ceux et celles qui se tournent vers lui. Cela, nous le croyons, et nous le vivons dans l’espérance.
Il a dans la fête de l’Ascension une autre raison de nous réjouir, qui nous ramène sur la terre. Le vieux rêve de devenir comme Dieu ne se réalise pas n’importe comment. Il y a un passage à faire, comme Jésus a lui-même dû passer par sa Pâque. L’Ascension reste bien, vue de notre côté, un départ, une disparition de Jésus ressuscité, de Celui que les disciples ont fréquenté pendant quarante jours. C’est ici que s’éclaire d’une lumière nouvelle une grande loi de la vie chrétienne. Ce principe fondamental que les Évangiles rappellent souvent, mais que nous avons tant de peine à comprendre, et encore plus à vivre, c’est celui-ci : le départ est nécessaire pour qu’advienne un autre avènement ; la disparition est la condition pour laisser venir une autre manifestation ; l’absence nous prépare à accueillir un mode différent, intérieur, de présence ; l’éloignement qui prive les disciples de ce Jésus qui avait fait tant de miracles, permettra que se déploie la puissance de l’Esprit Saint en ces signes étonnants que promet la fin de l’évangile de Marc que nous venons d’entendre.
Cette loi évangélique transpose d’ailleurs une règle générale du fonctionnement de la nature – il faut tailler et émonder pour produire – aussi bien que de l’être humain – il faut savoir renoncer à ses désirs infantiles pour devenir adulte. D’après les récits évangéliques, on comprend bien que Jésus ne pouvait pas rester plus longtemps parmi ses disciples en apparaissant mystérieusement de temps en temps : quarante jours pour confirmer leur foi en la réalité de sa Résurrection et pour compléter son enseignement, c’était nécessaire, mais pas plus. Pour avancer, il faut qu’il parte.
Il faut partir pour que les apôtres partent en mission, pour qu’ils ne passent pas leurs journées entre le Temple et la pêche au lac. Il faut que Jésus s’absente une fois pour toutes en son corps glorieux pour être plus intimement présent au cœur de tous les croyants de tous les temps. Il faut qu’il disparaisse de ce petit coin de Palestine pour se manifester autrement sur toute la terre. Et tout cela, les signes merveilleux, la manifestation universelle du Christ, la mission au long du temps, tout cela sera l’œuvre de l’Esprit que Jésus a promis de donner, avant de partir.
C’est pourquoi dans l’évangile de Luc, après que Jésus fut enlevé dans les cieux, les disciples retournent à Jérusalem « en grande joie ». Ils ont compris que maintenant c’est leur tour. C’est notre tour. Bientôt va s’élancer une longue course, un marathon dont nous courons peut-être aujourd’hui seulement les premières heures, car « il ne nous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa seule autorité » (Actes des Apôtres, 1, 7 : première lecture). C’est la longue course de l’Eglise pour annoncer la Bonne Nouvelle du salut.
Quelle magnifique pédagogie nous est offerte par le mystère de l’Ascension ! Nous nous réjouissons de recevoir la délivrance et le salut de Jésus ressuscité et élevé dans la gloire de Dieu, et en même temps d’être envoyés pour partager cette nouvelle avec tous nos frères et sœurs humains. Double joie et joie unique que de contempler et aimer le Christ au plus intime de notre vie, et de le faire connaître et aimer en témoignant de l’amour qu’il nous donne.