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Dimanche des Rameaux et de la Passion 2015 - B

Frère Jean-Christophe de Nadaï op

29 mars 2015

Après l’un des miracles de la multiplication des pains, Jésus, voyant qu’ils cherchaient à le faire roi, s’enfuit dans la montagne. Mais aujourd’hui, nous le voyons, Jésus a résolu de se laisser traiter en roi. Certains trouveront sa royauté dérisoire, à le voir ainsi jugé sur ce petit âne. Mais cela avait été prophétisé par l’Écriture comme propre à l’entrée du Messie dans sa sainte cité. Du reste, celui qui règne sur l’univers entier n’a besoin d’aucune pompe extérieure : il ne veut que l’hommage des cœurs. Il ne lui est pas refusé, avec ces transports d’affection sont merveilleux à l’adresse de celui qui a guéri tant de malades et nourri tant de foules.
Ces rameaux dans nos mains manifesteront qu’ils sont véritablement bénits, si à leur aspect s’anime en nos cœurs une semblable tendresse pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, émus de reconnaissance pour ce qu’il a fait pour nos âmes. Ils le seront davantage encore, si cessant de nous mêler à la foule, une fois finie cette joyeuse entrée, nous le suivons jusqu’en dehors de la ville, et accueillons l’esprit de sa passion, dont nous entendrons bientôt le récit.
Alors nos rameaux signaleront cette victoire sur le péché, que notre roi a conduit ainsi jusqu’au bout, et jusqu’à vaincre la mort même, de sorte que c’est en vérité un beau geste de piété que de marquer cette espérance en les faisant servir d’ornements aux tombes de nos morts… et dans nos maisons.
Prédication sur la Passion :
« Dieu éternel et tout-puissant, pour montrer au genre humain quel abaissement il doit imiter, tu as voulu que notre Sauveur, dans un corps semblable au nôtre, subisse la mort de la croix. » Par cette prière d’ouverture à la messe des Rameaux et de la Passion, notre mère l’Église nous donne à entendre le mystère où elle nous fait entrer, nous ses enfants.
Elle nous entretient donc de ce profond abaissement que le Christ a vécu dans sa passion, et que nous avons à imiter. Eh ! quoi ? Aurions-nous donc à aller nous-mêmes au devant de la mort de la croix ? Il est certain, hélas, que l’on ose aujourd’hui, contre tout sens humain, renouveler ce supplice affreux, ou d’autres, qui le sont tout autant, contre nos frères chrétiens. Mais précisément : les martyrs eux-mêmes n’imitent pas exactement le Christ en sa passion, parce que ces tourments leur sont imposés comme à des victimes. Au lieu que, comme Jésus le déclare en saint Jean : Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. J’ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre. Et en saint Matthieu, à l’un de ses compagnons qui voulait le défendre contre les satellites du grand prêtre venus l’arrêter : Rengaine ton glaive, dit-il, Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ?
C’est ainsi que le Christ offre lui-même sa vie dans sa passion volontaire. Dans sa mort, il est non seulement victime, mais il est aussi prêtre, et même prêtre d’abord, puisque c’est pour accomplir ce sacrifice qu’il s’est fait homme, et venu dans le monde.
Et cependant, il lui a plu de communiquer aux chrétiens ce caractère de prêtre par les cérémonies de notre baptême, dont nous fêterons en Eglise le mémorial lors de la nuit de Pâques. Ce sacrement, en effet, a étendu jusqu’à nous le sacerdoce même selon lequel Jésus a offert sa vie à Dieu pour ses frères. Dès lors, la passion de Jésus est imitable par les martyrs, quand ils font des souffrances et de la mort qu’on leur impose l’occasion d’une offrande à Dieu de leur vie.
Est-elle imitable par nous, mes frères ? Sans doute, le profond déclin spirituel que connaît aujourd’hui notre pays, cette sorte d’athéisme d’Etat qu’il est convenu d’appeler laïcité, expose l’Église et les chrétiens à l’incompréhension, voire au mépris des représentants des institutions, ainsi que de leurs contemporains. Mais enfin, il n’y a rien là qui soit à comparer à la mort humiliante que connaissent les chrétiens persécutés de par le monde, et dont l’abaissement a quelque chose d’extérieurement conforme à celui qu’a connu notre Seigneur Jésus-Christ dans sa passion.
Cependant, c’est à tous ses disciples qu’il déclare : si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il prenne sa croix et me suive. Ainsi tous, indistinctement, nous avons une croix, comme chrétiens et comme hommes. S’il est vrai que, comme il est dit dans le psaume : le plus grand nombre de nos années n’est que peine et misère, il n’est guère d’humain en ce monde qui puisse se flatter d’être toujours indemne de ces malheurs que la vie est parfois si ingénieuse à procurer, occasions de ces abaissements qui peuvent être réputés pour chacun pour sa croix.
Chacun est donc affligé de quelque croix en ce monde. Mais il appartient au seul chrétien d’aller au-delà de ce sujet d’affliction, et de cesser de regarder ce qui fait notre tourment comme l’effet d’une fatalité sans signification, tant il est commun en effet. Il s’agit de la prendre, cette croix, et d’en faire quelque chose de beau et de bien, d’une offrande à Dieu, par l’amour du Seigneur Jésus.
Mais de manière plus mystérieuse encore, l’abaissement qu’il convient d’imiter ne se confond pas exactement avec ces humiliations sensibles et visibles, qui nous viennent des événements du dehors, ainsi que des maladies du corps ou de l’esprit. C’est un abaissement spirituel et tout intérieur. Saint Paul nous le donne à entendre, quand il nous dit : Abaissez-vous sous la main puissante de Dieu. C’est précisément ce qu’a vécu Jésus dans sa passion, lui qui pourtant était Dieu. Il apprit, tout Fils qu’il était, l’obéissance, nous dit la Lettre aux Hébreux. Cela se remarque dans le cri qu’il fit entendre sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? En cette heure, celui qui nous a appris à prier Dieu comme notre Père, ne prétend même plus l’appeler son Père. Mais cela se remarque davantage encore dans le mystère de l’agonie au jardin des oliviers, où nous est découvert le secret abaissement du Christ en sa passion : quand Jésus, qui déclarait Je sais que toi, Père, tu m’exauce toujours, a prié le Père en cette heure, et n’a pas été exaucé de lui.
Non, il n’est pas d’abaissement pareil à celui-là, pas de douleur pareille à ma douleur, dit le psaume en parlant du mystère de Jésus. Mais plus profond que cet abaissement, l’amour du Fils pour le Père en cette nuit : Que ta volonté soit faite, non la mienne. Il s’abandonne à celui dont il aurait lieu de croire qu’il l’abandonne, selon la parole qu’il prononcera bientôt sur la croix.
C’est là mes frères, l’abaissement de Jésus qu’il nous faut imiter. N’a-t-il pas voulu dans le baptême étendre jusqu’à nous sa vérité de fils de Dieu ? Il a voulu, dit saint Jean, que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes. Et comme il nous enseigne à dire à Dieu, Notre Père, il nous fait lui dire dans la même oraison dominicale, que ta volonté soit faite, qui sont les propres paroles qu’il prononça à Gethsémani, tombé face contre terre devant son Père et notre Père, son Dieu et notre Dieu.
C’est de Jésus que le prophète Isaïe déclare : Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé. Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. On l’appelait Rabbi, c’est-à-dire, « maître ». Mais il veut parler le langage des disciples, et il déclare que c’est là le principe de sa puissance. Abaissez-vous sous la main puissante de Dieu : écoutez ses commandements, tout écrasants qu’ils vous semblent d’abord. Et lui vous relèvera, poursuit le saint Apôtre, comme il a ressuscité Jésus le troisième jour.