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Solennité de la Dédicace de l’église de Chalais 2014

Frère Philippe Dockwiller op

22 mars 2014

Jean 2,21… Demeure de grâce

Le temple est bien une réalité visible et matérielle, si l’on en croit les textes de ce jour dans le livre d’Ézéchiel, la gloire du Seigneur arriva par le porche qui fait face à l’orient (Ez 43,4) ; comme d’ailleurs dans l’évangile selon saint Jean, il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple, et toi, en trois jours, tu le relèverais ? (Jn 2,21) Et qu’est-ce que le temple à Jérusalem, sinon d’abord une maison, bâtie avec ses portes, ses colonnes, son toit ? Comme cette église de Chalais. Il a fallu la bâtir avant de la consacrer aujourd’hui 22 mars, en 1101. Lorsque nous offrons des œuvres d’art à Dieu, en général, nous veillons à ce qu’elles soient terminées. C’est un peu différent quand nous nous offrons nous-mêmes. Et ce qui achève cette église se tient là-haut, à la verticale du choeur des sœurs : l’agneau immolé et pourtant debout. Autour de lui, dans le ciel de Dieu, tout le culte est rendu par des myriades d’êtres bienheureux comme le décrit le livre de l’Apocalypse (Ap 5,6-14). Si nous enlevons la clé, la voûte tombe et alors nous ne voyons plus que le ciel matériel. Cette église est bien bâtie, entièrement. Elle est là pour nous abriter de la pluie qui tombe dru en ce jour de fête ; elle est là, complète, parce qu’en réalité elle est comme une « ambassade » de Dieu, un territoire dédié, consacré, pour que nous et Dieu puissions cohabiter dans la sainteté.
Il s’est passé trois rites essentiels, le jour de la consécration de cette église : d’abord, les murs ont été aspergés d’eau bénite, le sol, les colonnes. Un rite pour chasser les démons, vous savez ces êtres dont on rencontre les œuvres, surtout en allumant la télévision à l’heure du journal de 20 heures. Et regardez, les lions, là, sous les colonnes, ils en sont réduits à soutenir l’édifice qui vient peser sur eux : bien que bâtie de bas en haut, cette église semble descendre du ciel et s’appuyer sur les forces prédatrices qui nous menacent. Même le mal est obligé de servir l’oeuvre de Dieu ! Le deuxième rite fut celui de l’onction, avec le saint Chrême, cette huile sainte et parfumée que l’évêque consacre au milieu du peuple de Dieu, durant la semaine sainte chaque année, huile dont sont marqués les baptisés, les confirmés, les prêtres et l’évêque, et même les rois anciens dans ce pays. Le saint chrême est venu consacrer les colonnes, les murs, et finalement la table de l’autel. Il fallait remplir l’espace de parfum, saturer le lieu de l’onction divine. Enfin, l’évêque, ce jour-là, a présidé l’eucharistie dans l’assemblée et ce fut le troisième rite.
« Détruisez ce temple, et moi, en trois jours, je le relèverai » dit le Seigneur aujourd’hui à ceux qui lui demandent des explications parce qu’il a chassé les marchands du temple. Et l’évangéliste précise : il voulait parler du temple de son corps (Jn 2,21). Regardez les rites célébrés jadis sur ces murs, dans cette maison : ils sont seulement la transposition vers l’édifice de pierre, de ce qui concerne en premier et en dernier, le corps des disciples. Nous sommes baptisés dans l’eau, nous sommes confirmés dans l’onction sainte, nous prenons part à la table eucharistique où le Christ-Jésus vient et se donne en nourriture. L’Église n’est pas une religion de plus en ce monde, elle est le corps du Christ. Nos édifices de pierre ne sont que le signe extérieur par lequel nous sommes rappelés à notre dignité profonde et ultime. Le signe visible renvoie à la réalité encore invisible, nous l’avons entendu dans l’épître aux hébreux, l’assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux (Hb 12,23), la multitude en fête autour du trône de Dieu. Elle est bien plus vaste que les murs de cette église. Et ce qu’il y a de visible ici doit nous dilater dans l’invisible.
Dieu nous a créés chacun pour être ce que nous sommes, au cœur de notre cœur, Il a ouvert un sanctuaire en lequel Il est présent à ce que nous sommes, car autrement nous serions absorbés par le néant, et disparaîtrions sans laisser de trace. Il a aussi voulu nous sauver dans son Fils, et par le baptême et les sacrements, Il a fait de nous le temple de son Esprit-Saint. Mais voilà, Dieu est encore trop à l’étroit dans nos vies : et cette maison de pierre est là pour nous élargir, pour aller chercher dans nos cœurs la présence du Créateur, et la force du Sauveur pour que la lumière déposée le jour de notre création, et illuminée de la sainteté de Dieu le jour de notre baptême soit extraite des lieux cachés, recouverts par le péché, pour envahir toutes les épaisseurs de nos êtres et rayonner sur nos visages, et entre nous (2Co 3,18). Cette église est comme un instrument qui amplifie la grâce pour aller l’extraire des lieux cachés en nous, des lieux oubliés ou désertés : chaque fois que vous aurez oublié que la grâce est donnée pour résider en vous, venez en ces lieux et regardez pour comprendre que ces murs parlent d’elle, cette grâce qui doit encore jaillir du plus profond, de ce lieu sanctuaire, non fait de main d’homme, le temple que Dieu a choisi en vous pour y faire sa demeure.
Demain, dans la résurrection, nous n’aurons plus besoin de cette église de pierre. Et les saints et les saintes qui auront vécu ici la grande aventure de la grâce avec Dieu garderont dans leur mémoire la trace de ces murs qui seront devenus inutiles. Aujourd’hui, nous sommes encore en chemin, et ce lieu de sainteté nous encourage à demander à Dieu d’élargir nos cœurs par Sa présence. D’ailleurs nous allons célébrer l’eucharistie du Seigneur Jésus. Une fois encore sa vie, corps et sang, rejoint nos vies. Il vient de son Père, et descend jusqu’en nous au plus profond, au lieu sanctifié par le baptême, là où, lui, Jésus a pris notre mort pour nous tourner vers sa vie, pour nous ramener à son Père en nous laissant leur Esprit commun.
Nous allons encore recevoir son sang et son corps, ce corps détruit par les hommes, et qu’il a relevé.