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4ème Dimanche de l’Avent - A

Père Michel Mounier (Diocèse de St Etienne)

22 décembre 2013

Matthieu 1,18-24

Voici Joseph, l’oublié, celui dont on ne sait rien. Celui que Moustaki chante : « Tu aurais pu mon vieux Joseph prendre Sarah ou Déborah ou n’importe laquelle de toutes les filles de Galilée, mais tu as préféré Marie ». Joseph, duquel on ne parle pas d’annonciation, terme que la liturgie réserve à Marie, alors qu’il s’agit bien d’une annonciation ici. Certes le récit de Mathieu n’a pas la beauté et la poésie de l’annonciation de Luc. Et pourtant quelle force dramatique et quelle profondeur théologique !
Quelle force dramatique ! Car voici Marie enceinte. Imaginions le drame que cela est dans ces sociétés, et les souffrances encore aujourd’hui. Mais qu’en est-il pour Joseph ? Il est dans une situation impossible, pris dans un conflit de loyauté insoluble. Son drame, c’est d’être un homme juste, c’est-à-dire ajusté à Dieu et à sa Torah. En toute chose, il se conformait à la Loi divine. Selon cette Loi, Marie aurait du être vierge en venant habiter chez Joseph. C’est un adultère. « Tu feras disparaître le mal au milieu de toi » dit le Deutéronome. Faire comme si de rien n’était, c’était sauver la réputation de Marie, pour le moins, mais c’était ignorer la Loi divine. Pourtant Joseph ne veut pas non plus manifester sa justice aux dépends de Marie. Il choisit donc de la répudier en secret, sans qu’il y ait d’enquête officielle sur la conduite de Marie.
Oui pour Mathieu, le héros de l’histoire est Joseph, un juif intelligemment fidèle à la Loi. Car elle prévoyait des exceptions : Marie avait pu être contrainte. Son Joseph a un côté poignant tant il est tiraillé entre son amour de la Loi et son amour de son épouse. Nos vies aussi sont souvent tiraillées ; les décisions à prendre ne sont pas souvent toutes blanches ou toutes noires, il fait souvent choisir le moindre mal. C’est peut-être cela la condition humaine. Joseph nous est précieux pour garder la référence à la Loi sans tomber dans le légalisme. Le fils de Marie se revendiquera comme maître du sabbat.
Mais l’histoire n’en reste pas là. « L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint, elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus. Voici que d’une solution humaine, profondément éthique dans sa complexité, nous passons à une solution divine. Solution divine qui pourtant ne contredit pas l’humain mais l’accomplit, le portant à un degré inespéré. « Dieu avec nous » construit notre humanité.
Car renonçant à une certaine paternité, Joseph devient vraiment père. « Tu lui donneras le nom de Jésus ». L’homme, dans le couple, devient père en donnant le nom. Aujourd’hui encore le mariage vaut présomption de paternité, c’est même le cœur du mariage.
Père, Joseph l’est autant qu’on peut l’être et c’est trop peu dire. Chez lui, en Marie, paternité et maternité atteignent un niveau inouï puisque c’est la paternité et maternité de Dieu même. Ils nous révèlent ce qui se cache en toute fécondité humaine, charnelle ou autre : c’est que tout enfant est don de Dieu et non propriété de ses parents. Tout enfant est mystère. Vos enfants ne sont pas vos enfants, dit Khalil Gibran. Cet enfant il faut l’adopter, une fois… et chaque jour. Et pour Joseph l’adopter c’est aussi adopter l’épouse devenue autre, devenue mère. « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse ».