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1er dimanche de l’Avent - A

Frère Michel Demaison op (Lyon)

1er décembre 2013

Debout, marchons à la lumière du Seigneur !
« Debout, montons à la montagne du Seigneur, marchons à sa lumière » nous lance le prophète Isaïe, et saint Paul : « C’est le moment de vous réveiller, habillez-vous des armes de la lumière, revêtez-vous du Seigneur Jésus » Et Matthieu fait dire à Jésus : « Veillez, tenez-vous prêts pour l’heure où le Fils de l’Homme viendra »
Trois lectures en pleine consonance. Leur message est clair : un appel nous est lancé, à nous de jouer.
Mais, me direz-vous, c’est justement ce que nous sommes en train de faire : nous répondons ici et maintenant à ce triple appel. Nous sommes bien réveillés, nous avons marché, nous sommes montés à la montagne où le Seigneur nous attend, et la montée n’était pas facile, et nous sommes prêts pour écouter la parole, pour célébrer cette eucharistie qui est le sacrement de la venue du Christ, hier, aujourd’hui, et au dernier jour.
Tout cela est juste et vrai ; mais est-ce bien le sens profond, encore plus vrai, du message que nous délivre la parole de Dieu ce matin ? N’a-t-elle pas autre chose à nous faire entendre que cette leçon un peu facile : nous sommes réveillés, nous sommes prêts, puisque nous mettons en pratique ce que tu nous demandes par la voix de ton Eglise, et que nous sommes venus dans cette église ?
Au-delà de nos pratiques et de nos observances, qui ont toutes leurs valeurs pour nourrir notre foi de chrétiens, la Parole de Dieu veut nous rejoindre, nous toucher, nous atteindre au cœur de notre vie tout court, dans ce qui fait notre existence d’hommes et de femmes de ce monde-ci, une fois sortis de l’église et du culte.
Dès que nous quittons nos sanctuaires et nos monastères, que trouvons-nous ? Un monde sans Dieu, rempli de l’absence de Dieu, retentissant du silence de Dieu. Croyez-vous que nous puissions échapper à cette atmosphère, à cet air que nous respirons sans même nous en rendre compte ? Et c’est alors que monte à nos lèvres et à nos cœurs, les appels que le Seigneur nous adressait dans les lectures, mais cette fois retournés vers Lui : « Réveilles-toi, lève-toi, montre-toi, viens enfin ! » Cette supplique nous l’entendons souvent chez nos frères et sœurs chrétiens : « Que fait Dieu dans la détresse où je suis ? je ne ressens jamais sa présence, je me demande si j’ai encore la foi.. » Et puis il y a tout le malheur du monde dont on ne viendra jamais à bout, semble-t-il… D’où viendra la lumière ?
Ne nous scandalisons pas de ces plaintes, de ces appels angoissés. Ce n’est pas nouveau. Combien de fois tout au long de l’Ancien Testament, nous les entendons ces supplications « Hâte-toi ! Viens à notre secours ! Reviens sans tarder ! » Si la Parole de Dieu les prend à son compte et en fait des prières, c’est bien qu’elles ont quelque chose à nous dire de nos relations avec Dieu. L’Ecriture Sainte elle-même témoigne que ces sentiments d’absence, d’éloignement, de sommeil de Dieu délaissant même son peuple élu, ne sont pas des fautes, des rejets ou des refus, des révoltes contre Dieu. L’Ecriture témoigne ainsi que notre relation avec Dieu ne peut être pleinement satisfaisante, comblante, saturant notre désir. Et nous avons beaucoup de peine à le comprendre, et à le supporter, tellement nous sommes habitués à voir nos besoins immédiatement satisfaits, nos demandes exaucées, nos envies réalisées, de telle sorte que rien ne laisse à désirer.
Si c’était le cas avec Dieu, on pourrait être certain que ce n’est pas Lui, qu’on l’a manqué. Pour ne pas le manquer, il faut laisser en nous une place au manque, à l’absence, à la distance : c’est comme ça que le désir se purifie, se décante et se renforce et nous prépare à la rencontre en nous donnant du temps.
Ce temps, c’est justement celui de l’Avent : ces quatre semaines où nous pouvons mieux nous situer face au mystère du Dieu qui vient – à sa manière-, un temps pour mieux réaliser ce que veut dire : attendre, veiller, appeler au secours, se sentir délaissé, espérer le salut quand même… Toutes ces relations avec Dieu – accepter le silence, l’absence de la réponse qu’on réclamait, supplier qu’il intervienne – font une bonne part de la Révélation de l’Ancien Testament ; et vous savez comment son histoire s’accomplit, du moins pour nous chrétiens : par la venue en ce monde de Dieu en personne en Jésus, c’est par la réponse la plus inimaginable, celle qui fait éclater tous nos objets de désir. Tellement inconcevable qu’il « est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reconnu ».
Toute relation avec Dieu consiste à faire la place en nous pour la venue de l’Inconnu L’attendre et veiller dans la nuit, ce n’est pas entretenir le doute, c’est entretenir la flamme, comme une veilleuse. Tout le contraire de somnoler, de rester engourdi dans les habitudes rituelles et les pratiques rassurantes.
En ce temps de l’Avent, chaque fidèle, et l’Eglise entière, entendent l’appel de Dieu à se réveiller, à revêtir les habits de lumière de notre baptême, et de monter avec le Christ, et c’est aussi le temps où chaque fidèle, et l’Eglise entière, lancent vers Dieu leur appel pour qu’Il vienne, qu’Il accomplisse son œuvre de salut. C’est le temps de la rencontre de deux désirs : celui du Seigneur « Réveille-toi, je viens bientôt » et le nôtre : « Viens, Seigneur Jésus » Ce sont les derniers mots de la Bible : « La grâce du Seigneur Jésus soit avec vous » (Ap 22,20-21)