Aimez à tort et à travers
Fr Jérôme Rousse-Lacordaire op
9 septembre 2010
Dans la nuit du 2 au 3 février 1975, au lendemain de l’assassinat de sa femme à coups de couteaux, le chanteur Julos Beaucarne écrivit à ses amis :
Amis bien aimés […] Sans vous commander, je vous demande d’aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches ; le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir, il faut reboiser l’âme humaine. […] à vous autres, mes amis de l’ici-bas, […] je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd’hui : je pense de toutes mes forces qu’il faut s’aimer à tort et à travers.
Aimez à tort et à travers, et à perte, c’est précisément ce que nous dit cet évangile. Aimer à perte, jusqu’à se perdre soi-même plutôt que de rendre le mal pour le mal, car c’est effectivement la seule façon d’arrêter vraiment le mal, de sortir de son cercle totalement vicieux, de sa spirale proprement infernale, d’une politique de la dissuasion, de la menace et de la terreur ; le seul moyen de décrocher définitivement d’au-dessus de sa têtes l’épée de Damoclès. En ne rendant pas le mal pour le mal, mais le bien, le mal ne continue pas son chemin, il s’arrête, bloqué.
En ne rendant pas le mal pour le mal, nous refusons de nous payer en retour sur celui qui nous a blessés, et ainsi nous tuons le mal pour que le bien puisse naître et croître. Nous faisons place au bien, qui seul peut vaincre le mal, en n’y répondant pas, en l’arrêtant par un bien plus grand qui le réduit à l’impuissance. Aimez à perte, c’est aimer jusqu’à la perte du mal dans l’amour. Alors, l’âme humaine ainsi reboisée, le monde sera peut-être une moins triste boutique.