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Démangeaisons

Fr Denis Bissuel op

8 août 2008
Je ne sais pas s’il vous arrive parfois d’avoir des démangeaisons comme ces gens dont parle l’apôtre, mais saint Dominique à coup sûr a du en avoir souvent. Il a du bien des fois être remué, inquiété, écorché même, par tout ce qu’il pouvait voir et entendre en ce début de treizième siècle.
Lui, le chanoine régulier de la cathédrale d’Osma, homme profondément spirituel, attaché à l’Église et fidèle serviteur de son évêque Diègue, a bien du avoir quelques boutons en constatant au sein même de l’Église le relâchement des mœurs, le carriérisme de certains dignitaires ecclésiastiques, et l’incapacité notoire pour nombre d’entre eux de prêcher l’Évangile.
Dominique, homme de l’Évangile, passionné de Jésus-Christ a du être marqué, blessé, dans son cœur, dans sa chair, au contact des ‘Bons hommes’, des purs, des parfaits, des cathares, qui, dans le sud de la France, en étaient venus à développer et propager une doctrine prônant la haine de la matière et du corps et finalement du monde et de l’humanité.
Démangeaison sans doute encore quand il a rencontré les légats du pape, des ‘professionnels de la conversion’, venus lutter contre cette hérésie avec chevaux, armes et bagages.
Mais peut-être faut-il avoir été d’une manière ou d’une autre démangé, provoqué et touché pour se lever un jour, devenir prêcheur, proclamer la Parole, annoncer l’Évangile, intervenir à temps et à contretemps. Dominique était travaillé par le salut des hommes de son temps : ‘Mon Dieu, que vont devenir les pécheurs ?’ Il y a là, c’est vrai, quelque chose de pathétique, mais dans le sens de la passion, passion du Christ, passion des hommes.
Il a eu la chance de commencer son itinérance évangélique comme compagnon discret d’un évêque audacieux Diègue, chez qui il trouvera les grandes intuitions qui feront le charisme d’un Ordre tout entier au service de la prédication : se débarrasser d’équipages encombrants et ramener les cathares à la vérité de l’Évangile par le seul tranchant de la Parole de Dieu ; étudier sans relâche les Écritures pour le débat, la controverse et la prédication ; reconnaître en l’autre, fût-il hérétique, ce qu’il y a de bon, en l’occurrence ici le désir d’une vie simple et pauvre plus conforme à l’Évangile.
Je vois cet homme, Dominique, père des prêcheurs, que j’ai découvert moi-même en entrant dans l’Ordre, parcourant inlassablement le Languedoc ou le Lauragais : il enseigne, exhorte, argumente dans les auberges et sur les routes, tente de convaincre par la parole et par l’exemple, tout à la fois grand marcheur devant l’Éternel et profondément contemplatif. Le père des prêcheurs parlait peu, il s’abstenait de paroles oiseuses, et parlait toujours avec Dieu ou de Dieu.
Car il priait partout, nous dit son biographe Jourdain de Saxe, le jour, la nuit, en chemin, au couvent ( !), dans les sanctuaires, avec son corps, debout, couché, ou encore assis il tenait en ses mains le livre ouvert et méditait la Parole de Dieu. Et au pied de la croix, contemplant Jésus crucifié donnant sa vie pour le monde, il s’abreuvait, trouvait sa force et rencontrait l’humanité telle que Dieu la porte dans son amour.
Et nous le voyons tout ému de compassion et de miséricorde vendre ses précieux livres annotés de sa main et en donner l’argent aux pauvres, refusant d’étudier sur des peaux mortes tandis que des hommes meurent de faim.
Si Saint Dominique n’a rien inventé, il a rassemblé des éléments apparemment contradictoires pour en faire une œuvre originale et dynamique, une tension féconde au service de l’Évangile. Il a creusé un sillon, réunissant autour de lui quelques compagnons ; il a donné visage à des communautés fraternelles, où l’on confronte librement les grands appels de la Parole et la culture du moment, dans le partage, l’étude et la prière.
Il y a depuis des siècles, et maintenant 800 ans, des hommes et des femmes qui vivent leur foi au Christ dans l’esprit qui fut celui de Dominique, et dans des formes de vie variées : ils sont frères, sœurs ou laïcs dominicains et portent tous et chacun à leur manière la mission de l’Ordre. Ce qui fait leur unité, notre unité, c’est le fait d’être prêcheur, prêcheur de l’Évangile de Jésus-Christ, messager qui annonce la paix.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : aller et annoncer au monde le salut de Dieu. Proclamer que l’Évangile est une Bonne Nouvelle pour tous et pour chacun, qu’il est source de vie, de bonheur et de joie.
Nous pouvons continuer la route, forts de cette promesse du Christ : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.
Chalais, en la fête de Notre Père Saint Dominique 2008