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4ème Dimanche de l'Avent C

P Michel Mounier

23 décembre 2018.

Lc 1. 39-45

Si Noël convertit la pauvreté en richesse et la fragilité d’un nouveau-né en puissance divine, Noël convertit aussi en amont nos objets de suspicion en sujets de confiance. Une fois passée l’exaltation de l’Annonciation dans quel état intérieur se trouve Marie. Nul ne le sait. Peut-être a-t-elle effectivement intérêt à prendre un peu de distance. Dans l’esprit de Luc, est-ce une visite de courtoisie que cette visitation à sa cousine Elisabeth, qu’elle devait bien connaître, Bethléem et la Judée ce n’est pas le même monde. Ou plutôt une demande d’asile, de tranquillité, de paix. Ce qui, en dépit de tout bon sens, lui a paru clair et évident dans la bouche de Gabriel ne l’encombre-t-il pas d’une confusion bien lourde à porter ? Il n’est pas souvent possible de rendre compte de nos inimitiés avec Dieu, aussi vaut-il mieux parfois se taire. Mais le silence de Marie sifflera aux oreilles de tous comme une accusation supplémentaire lorsque le ventre de Marie ne sera plus dissimulable. Peut-être il ne lui reste plus qu’à trouver quelqu’un, une oreille bienveillante, un cœur disponible, qui puisse croire qu’elle est tombée enceinte sur Parole. En dépit de nos éducations cartésiennes tout en retenue, il est des fois où il vaut mieux s’en remettre à nos ventres qu’à nos têtes. C’est ce que fait Elisabeth face à sa jeune cousine apeurée qui affiche peut-être l’expression désolée d’une enfant ayant commis une faute irréparable.
Mais lorsque l’Esprit s’en mêle, nos évidences s’effritent et autre chose parle en nous. Il est des langages qui s’affranchissent des mots pour faire passer les plus essentiels messages. Elisabeth est bien placée pour le savoir, qui a retrouvé son mari muet au retour du Temple. Se doutait-elle que les mots qu’il ne disait plus n’étaient pas pour rien dans la ronde tournure que prenait son ventre ? Elle s’est ouverte à l’inattendu, à l’impossible. C’est d’avoir gagné en légèreté par cette grossesse inconcevable qui livre Elisabeth tout entière à l’accueil. Car toute fécondation, fut-elle administrée par voie céleste, réclame une ouverture. Et toute ouverture expose à accueillir.
Aussi Elisabeth nous tient lieu de grande sœur, nous enseignant la possibilité de nous détourner de l’aveuglement de nos suspicions pour nous abandonner à l’accueil et à la confiance.
Car nous suspectons beaucoup. Nous sommes plus sensibles à la banalité du mal, bien réelle, qu’à celle du bien, tout aussi réelle. C’est particulièrement vrai dans notre tempérament français où la méfiance voisine avec un pessimisme invraisemblable pour un des plus riches pays du monde, équivalent au taux de pessimisme en Afghanistan !
La suspicion, la méfiance. C’est la pauvre arme qui nous reste lorsque nos calculs ont dissuadé l’Esprit de nous ouvrir à la confiance. Car une seule question mérite d’être posée sur le seuil de nos rencontres : celui qui vient vers moi porte-t-il en lui, souvent sans le savoir, des prémices d’Évangile ? Si tel est le cas, il m’appartient de le lui révéler. Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est béni. Tu es béni entre tous les hommes.
Attendre, être en éveil c’est mener ce bras de fer entre la méfiance et la confiance, l’autre nom de la foi.
Bien heureuse Elisabeth qui reconnaît bien heureuse celle qui vient à elle dans une cohorte de murmures. Bien heureux serons-nous si l’Esprit convertit nos suspicions, pour que nous accueillions, dans la simplicité de Noël, celui qui vient à nous.