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18ème Dimanche du To C

Fr Gilles Berceville op

Lc 12. 13-21

La vraie vie

« On ne peut parler de la vie dans l’Évangile, sans parler d’amour – si nous parlons de la vraie vie – et on ne peut parler de l’amour sans cette transformation dont parle Jésus de serviteurs à amis. Tout cela est important, et tout cela a une racine commune, la volonté de vivre. Et ici, je me permets de rappeler les paroles du bienheureux Pier Giorgio Frassati, un jeune comme vous : « Vivre, ne pas vivoter ! » Vivre !

Pape François, rencontre avec les jeunes, Turin, juin 2015

Qu’elle soit minuscule ou spectaculaire aux yeux des hommes, Jésus ne méprise aucune de nos vies et rien en elles ne lui est indifférent.

Il s’est saisi de chacune d’elles, et de tout en elles, et il leur a donné un prix infini, le prix de sa propre vie.

Mais qu’est-ce que la vie d’un humain ?

Il y a deux manières de la répondre :

Ma vie m’apparaît d’abord comme ce laps de temps que je vais passer en ce monde. Elle a un commencement, une fin. Elle passe. J’en fais le bilan.

Quand je la considère de cette manière, je vois en elle une accumulation de souvenirs, bons ou mauvais, une accumulation de biens, d’expériences, de connaissances. J’en suis plus ou moins satisfait.

Cette vie, c’est tout ce qu’en fin de compte j’ai acquis dans ma vie comme biens matériels, mais aussi intellectuels, moraux, spirituels.

Jésus nous dit aujourd’hui : « Gardez-vous de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. »

Mais si ma vie ne dépend pas cette accumulation de richesses, de mérites, si elle ne dépend pas du fruit de mon travail, de mon « héritage », si elle ne dépend pas de tout cela, de quoi dépend-elle ?

Ma vie, dans un second sens, ce n’est pas tout ce que j’ai capitalisé, au physique ou au moral. C’est ma manière de m’en saisir maintenant. C’est la manière dont je vis ma vie.

Le texte de l’évangile distingue d’ailleurs entre la vie au sens général (Zoè), et la vie au second sens (psychè), que l’on pourrait traduire plus exactement ici par « âme ».

La vie au second sens, l’âme, c’est donc ma manière d’être, ma manière de me saisir de ce que la vie m’apporte.

Nous en avons tous fait l’expérience : il y a des moments où rien extérieurement ne manque, et l’âme est triste, il y a des moments de privation, où l’âme est dans la joie.

Jésus met en garde contre une manière de me saisir de ce que la vie me donne avec « avidité », ou encore, selon une traduction (celle de saint Jérôme), avec « avarice », ce qui est peut-être plus exact ici : il ne s’agit pas d’en vouloir toujours plus, ce n’est pas le cas de l’homme riche de la parabole, mais de se replier sur ce que l’on a, de s’y agripper : « mon âme, tu as une quantité de biens en réserve pour de nombreuses années, repose-toi, mange, bois, fais la fête. » Se reposer sur, se prévaloir de ce que l’on a.

A cette « avarice », Jésus oppose non pas l’insouciance, l’irresponsabilité (l’homme riche est insouciant et irresponsable !) mais une recherche confiante : « Cherchez le Royaume, et tout vous sera donné de surcroît. »

Cette opposition de Jésus entre l’avarice – ce rapport faussé à sa propre vie – et la recherche confiante du Royaume avant tout, comme le propre de l’âme bonne, comme ce dont dépend en fait la vie, est beaucoup plus qu’ une incitation à la sobriété, à la modération dans l’usage des biens.

Dans l’évangile de saint Luc que nous lisons, Jésus se dirige vers Jérusalem – et l’évangéliste Luc vient de nous apprendre que « Scribes et Pharisiens se sont mis à lui en vouloir terriblement ». Jésus s’adresse à ses disciples et il leur dit : « Ne craignez pas ce qui ne peuvent que tuer le corps. »

Il ne s’agit donc plus maintenant pour Jésus de répartir l’héritage des morts, mais de nous ouvrir l’héritage de sa vie, de la vie bonne, de la vie éternelle. De nous transmettre sa manière à lui de se saisir de ce que la vie lui donne.

Cela, Jésus va le faire sous peu :

« Prenant du pain, il rendit grâce, le rompit et le leur donna, en disant : « Ceci est mon corps, donné pour vous, faites cela en mémoire de moi.

Il fit de même pour la coupe après le repas, disant : cette coupe est la nouvelle Alliance de mon sang, versé pour vous. »

La vraie vie, la vie bonne, est ce geste par lequel je me saisis de ce qui fait ma vie, dans la gratitude, l’offrande et le partage. « Merci, je te l’offre, pour tous. »

L’âme de la vie chrétienne, c’est l’Eucharistie de Jésus. Car, ce jour-là, en la veille de sa Passion, quand l’heure fut venue, Jésus, en se saisissant de sa propre vie, du pain de son corps et de la coupe de son sang, c’est de toutes nos vies dont il s’est saisi, nous qui par le baptême, sommes les membres de son corps, et par ce geste de son mystère pascal, il a fait porter un fruit de vie éternelle à chacune de nos vies, à tout ce qui fait nos vies.

Qu’elle soit minuscule ou spectaculaire aux yeux des hommes, Jésus ne méprise aucune de nos vies, et rien en elles ne lui est indifférent.

Il s’est saisi de chacune d’elles, et de tout en elles, et leur a donné un prix infini, le prix de sa propre vie.