
Présentation de Jésus au Temple 2025 C
Fr Grégoire Laurent Huyghes Beaufond op
Lc 2. 22-32
Ils sont deux, Syméon et Anne, parce qu’il faut deux témoins pour que le témoignage soit valide ; et il y a un homme et une femme, comme au commencement avec Adam et Ève, parce que c’est un re-commencement dont ils témoignent. Dans Syméon, il y a shema, le premier des commandements de la loi juive : écoute, Israël. Syméon, c’est tout ce qu’il y a d’écoute obéissante en Israël, récapitulé dans une vie d’homme. Et il y a Anne, la fille de Penouel : littéralement, ça se traduit Grâce, fille de la face-de-Dieu (cf. Ph. Lefebvre). Il faut les deux : Syméon et Anne ; un homme et une femme ; l’écoute et la réponse, l’obéissance du peuple et la grâce de son Dieu. En ce jour de la vie consacrée, Syméon et Anne ce sont peut-être deux patrons : l’effort de l’homme, la grâce de Dieu, l’appel gratuit et la libre réponse. Au centre du récit, au centre de nos vies, il y a Celui qui réunit les deux. Jésus, celui qui écoute et obéit parfaitement au Père, celui qui est la plénitude du Salut. Parce qu’il est là, qu’il se révèle et qu’on le prend dans nos bras, un cantique de louange peut naître, cantique que l’Église prie chaque soir avant d’aller dormir : j’ai entendu, j’ai vu et je témoigne que mon attente n’est pas vaine, notre espérance, elle est comblée.
Célébrer la présentation de Jésus au temple, c’est dire que l’attente d’Israël est aussi la nôtre. Syméon, nous dit le texte, attend la consolation d’Israël. Plus loin, Anne parle de l’enfant à ceux qui attendent la délivrance ou le rachat – suivant les traductions. Attendre dans le jeûne, appeler dans la prière, patienter dans le service : et suivant les jours et les époques de la vie, il y a grande confiance au fond et grande paix, peut-être aussi les larmes et le tourment, puisqu’on espère être consolé. Au centre du récit, au centre de nos vies, tout ce temps à attendre, et soudain on reçoit : l’enfant est dans nos bras.
Or, en grec, recevoir c’est un verbe formé sur la même racine que le verbe attendre. Attendre et recevoir : les verbes ont la même racine en grec, sans doute parce que les deux ont la même source dans le coeur. Peut-être qu’il faut apprendre à attendre pour être capable de recevoir. Je pense à un texte de Rilke, dans les Cahiers de Malte Laurids Bridge, où le narrateur évoque des parents blessés par l’indifférence de leur fils au cadeau qu’ils lui font ; et le poète note, je crois très finement : l’enfant ne comprend pas ce qu’on lui apporte, il ne peut recevoir « une joie faite pour un autre ».
Pour recevoir le Salut, il faut avoir appris à espérer sa joie. Et peut-être c’est là la seule fonction, la seule justification de la vie religieuse. Apprendre à désirer, à l’écoute de la Parole, c’est la vocation de tous les baptisés. Parmi eux, les consacrés sont là pour dire qu’on peut engager toute sa vie sur cette attente ; pour signifier qu’il n’est pas vain de désirer, pas inutile d’espérer ; pour témoigner que l’homme que la femme sont capables d’apprendre à désirer. Le commandement fondamental c’est “attends”, la loi première qui rend possible toutes les obéissances, c’est “espère”. Apprends à attendre, pour savoir recevoir, cherche à désirer ton Seigneur, pour pouvoir l’accueillir. Cela prend des formes et des accents différents suivant les âges, les histoires et les états de vie, mais c’est toujours faire l’expérience d’un manque, d’un vide, d’un besoin. C’est dans la nuit et l’insomnie, et pas en plein midi, que l’on désire l’aurore. Il faut avoir perçu, ne serait-ce qu’un petit peu, le scandale qu’est la mort, pour défendre farouchement la vie, la sienne celle des autres, avoir perçu, aussi : on a fait l’expérience que nos forces sont épuisables, alors on en appelle à celui dont l’Amour renouvelle tout. Anne, veuve et solitaire depuis des années, c’est le symbole d’un peuple qui attend l’Époux des noces ; c’est parce que Syméon a les mains libres, qu’il peut accueillir cet enfant dans ses bras.
Syméon et Anne sont des patrons et des exemples possibles. Cela dit ce n’est pas Anne, ce n’est pas Syméon qui sont consacrés, mais c’est Jésus lui-même. Dans l’Évangile selon Luc, il monte trois fois au temple. Ce matin, parce que tout premier-né doit être consacré à Dieu, ses parents le font monter ; dans dix ans il monte avec ses parents, pour le pèlerinage de la Pâque ; dans trente ans, il monte encore pour vivre sa Pâque, de la Croix à la Résurrection. Ce matin ses parents le font monter à Jérusalem. Faire monter, c’est alyah en hébreu : c’est un geste physique, un déplacement géographique, c’est aussi un sacrifice. Abraham fait monter Isaac sur la montagne, le grand-prêtre fait monter l’offrande sur l’autel. La présentation de Jésus au temple, la joie de cet enfant qui se livre dans les bras de l’homme, c’est prophétie de ce que toute sa vie sera : l’obéissance du fils à chaque instant au Père, pour le salut et pour la grâce de tous les hommes, et de tout en l’homme.
Il est là, le centre du récit, le centre de nos vies de baptisé.e.s, notre consécration à Dieu, en Jésus Christ. Lui qui est, suivant les mots qui nous semblent à tel instant plus adéquats, mots qui sont tous justes pour dire notre attente, qui sont tous insuffisants à dire la grâce qui nous est faite, Jésus qui est le parfait Syméon, le parfait écoutant du Père, aussi lumière née de la face du Père et plénitude de la Grâce ; il est l’ami ou bien l’époux, l’offrande et le grand-prêtre, il est l’enfant à embrasser, à protéger, il est le frère protecteur qui met sa main sur mon épaule. De l’Évangile de ce jour, je retiens le mot qui est pour moi au centre, l’un de ses plus beaux noms : il est consolation.