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4ème Dimanche de l'Avent B

Fr Charles Ruetsch op

Lc 1. 26-38

« Elle a fait un bébé toute seule », chantonnait Jean-Jacques Goldman dans les années 80.

Que les plus jeunes d’entre nous m’excusent cette référence de boomer (c’était en 1987, autant dire il y a une éternité !), mais pourtant ce n’est pas toujours très loin de ce qu’on entend parfois au sujet de la maternité virginale de Marie…

Et pourtant non, il faut continuer à l’affirmer : « Non, elle n’a pas fait un bébé toute seule », pas plus l’enfant qui nait en elle n’est le fruit d’une fécondation « in vitrail », si vous me passez l’expression !

Au jour de l’Annonciation, Marie n’est pas seule. Déjà il y a Joseph, l’homme qui lui est promis et avec qui elle projette sans doute de réaliser sa vocation de femme, d’épouse et de mère. Mais si vous tendez l’oreille vous entendrez encore dans l’évangile les noms de Jacob et de David. Ils sont là autour d’elle les témoins de l’attente des siècles.

Jacob, David, Joseph, Marie : des hommes et des femmes, chacun appelé par leur nom, qui attendent que la promesse de Dieu pour l’humanité se réalise.

Car Dieu tient toujours ses promesses, Dieu ne ment jamais. Le roi David pourtant n’a pas vu la réalisation de la promesse faite par le Seigneur, car avant de pouvoir entrer dans la réalisation de la promesse, encore faut-il entrer dans l’intelligence de la promesse.

Vous avez entendu l’histoire de David et du prophète Nathan. Le roi David avait une belle demeure – un palais même – alors il se dit qu’il serait quand même plus convenable que l’arche de l’alliance demeure, elle aussi, dans une maison en dur, et non pas sous la tente comme au désert. Au début, le prophète commence par acquiescer à cette idée toute humaine. Mais Dieu lui souffle lui-même la réponse négative dans son sommeil.

Vouloir construire un temple pour Dieu, voilà une bien pieuse idée mais qui repose aussi sur un immense malentendu…

On ne met pas la main sur Dieu, on ne l’enferme pas entre quatre murs, ça c’est bon pour les idoles domestiques comme dans les maisons païennes, mais cela ne convient pas au Dieu d’Israël, le Dieu libre et qui invite à la liberté. Dieu ne connaît qu’un seul temple, c’est de demeurer au milieu de son peuple en toute circonstance, c’est de faire sa demeure en chacun d’entre nous.

Dieu réalise toujours ses promesses, mais par des chemins détournés. Le roi David n’a pas vu l’accomplissement de la prophétie de Nathan, mais nous, nous en sommes témoins : Dieu parmi nous, Dieu avec nous, Dieu l’un de nous…

Mais là encore, il ne s’agit pas d’aller trop vite en besogne. Dans toutes les guerres d’hier et d’aujourd’hui, on a vu et entendu bien des peuples – trop de peuples – proclamer que Dieu est avec eux, dans le bruit et la fureur de la violence.

Pour que la promesse se réalise, il faut encore qu’elle soit entendue sans aucun « mal-entendu » justement. Et Dieu sait qu’il aurait pu y en avoir des malentendus au jour de l’Annonciation ! A l’envers de tous ces malentendus, Marie nous est donnée en modèle de l’écoute parfaitement ajustée.

Avant cet événement qui va bouleverser son existence – comme il va bouleverser le cours du temps et de l’histoire – Marie est toute attente, toute entière disponible et à l’écoute de la Parole de Dieu.

Aussi lorsque l’ange la salue, son trouble n’est pas de crainte, ni de frayeur. Il est de se laisser percuter intégralement par la Parole de Dieu, cette parole qui vient nous chercher là où nous ne l’attendons pas, qui nous déplace, qui nous ouvre un chemin et une espérance à la condition de l’écouter vraiment.

Et la preuve qu’elle écoute vraiment la parole de Gabriel réside dans sa question, toute simple, toute triviale. Non pas : « Que dois-je faire ? Quel doit être mon plan de bataille ? » Non !

Marie écoute et de son humilité jaillit une question toute simple : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je ne connais pas d’homme ? »

Avec cette question, Marie se fait plus que jamais proche de nous, parce qu’elle fait le constat de la difficulté pour un homme, pour une femme d’entrer pleinement dans le dessein de Dieu. La question de Marie est la nôtre lorsque nous faisons l’expérience de la difficulté qu’il y a à laisser Dieu prendre chair de notre chair.

Dieu veut habiter notre monde et toute notre vie chrétienne ne devrait avoir que ce ce but : dire au monde que Dieu habite dans notre vie, comme il veut habiter dans notre monde, comme il veut demeurer dans la vie de chaque homme et de chaque femme.

Alors comme Marie, il est naturel d’avoir envie de dire : « Mais comment cela se fera-t-il ? » Car pour Marie – comme pour chacun d’entre nous – il faut du temps, il faut de la patience pour entrer dans le projet de Dieu pour l’humanité.

L’ange d’ailleurs n’apporte aucune réponse à son interrogation, il décrit simplement ce qui se passe dans l’âme qui s’abandonne à Dieu : « L’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. »

Car ce qui nait de Dieu – nous le verrons bientôt dans la nuit de Noël – c’est toujours dans l’obscurité. Dieu n’a pas peur du noir. De la grotte de Bethléem au tombeau du Golgotha, Dieu peut bien descendre dans les ténèbres de notre humanité. Ce ne sont pas elles qui l’atteignent, c’est Lui qui vient y mettre sa lumière et sa chaleur.

David voulait bâtir une maison pour Dieu mais c’est Dieu lui-même qui lui offre le lieu de son repos.

Aujourd’hui, le Seigneur nous invite également à cette expérience de désappropriation, d’humble confiance, de détermination sereine et joyeuse pour entrer toujours plus dans son dessein bienveillant.

En Marie, Dieu trouve une demeure. En elle, Dieu prend chair pour se faire plus proche de nous que nous-mêmes. Par elle, nous est offert le Sauveur attendu et espéré par toutes les générations. Célébrer cette merveille que le Seigneur fit pour Marie, ce n’est pas faire simplement mémoire d’un destin exceptionnel, unique, incomparable : ce mystère, il est celui de toute vocation chrétienne, et peut-être encore plus le nôtre en cette veille de Noël.

A l’image de Marie qui s’est laissé façonner dans la foi, laissons Dieu habiter en nous pour réaliser pleinement cette vocation à laquelle il nous appelle, et « que tout se passe pour nous selon sa parole. » Amen