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13ème Dimanche du TO B

Fr Grégoire Laurent Huyghues Beaufond op

Mc 5. 21-43

Prière de déranger

Il y a foule dans l’Évangile de ce jour, c’est peut-être un peu bruyant et tumultueux, dans l’Évangile et dans les cœurs, on pourrait s’y perdre ; et d’abord, pourquoi ces deux récits l’un dans l’autre, quel rapport entre ces deux miracles ?
Un détail que vous avez peut-être remarqué : il est question de douze années. Douze années que cette femme perd son sang, douze ans de ruine, douze ans de mal en pis, douze ans que la puissance en elle de la vie s’écoule et se répand en pure perte. Douze ans, c’est aussi l’âge de l’enfant. Morte à douze ans, et quand Jésus la réveille, il ne l’appelle pas « enfant » mais « jeune fille », signe sans doute qu’elle est à l’âge maintenant où elle peut donner la vie.
Il y a aussi les foules que je disais. L’une au bord de la mer et dans les rues de la ville, qui se presse contre Jésus, le frôle et le bouscule. Peut-être est-elle curieuse de son enseignement, peut-être avide du miracle ? Cette foule, il va la renvoyer. Il y a aussi, dans la maison, les gens qui pleurent et se lamentent puis se moquent de Jésus. Sûrement, il entend et sait la peine et le désespoir, il ne s’emporte pas contre eux, mais il les met dehors. Car, dans la maison, les pleurs, moqueries ou découragements, ce ne sont que des symptômes : le mal est plus profond, il y a la mort au cœur de la maison, et c’est d’abord et avant tout cela dont le Seigneur vient s’occuper.
Et puis, dans l’une et l’autre histoire, il est d’abord question de foi et de salut : « Viens voir ma fille, tu la sauveras, elle vivra » ; « si je touche son manteau je suis sauvée » … Jésus répond à l’une, « ma fille, ta foi t’a sauvée et au premier : « n’aie pas peur et crois ».
Leur foi, elle s’enracine dans la Sagesse de la première lecture : Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de l’agonie et la disparition de l’homme. La foi, c’est de croire que nous sommes bien à l’image et ressemblance du Très haut : un Dieu vivant qui donne vie, l’homme est un être vivant fait pour donner et pour servir la vie. Il y a eu le diable, sa jalousie et son orgueil, dit la Sagesse, qui ont fait entrer la mort dans le monde, qui ont contaminé le cœur de l’homme. La foi, ce serait aussi cela : se scandaliser de la mort, en avoir peur, car nous ne sommes faits ni par elle, ni pour elle ; ni pour mourir, ni pour donner la mort.

Regardons cette femme, farouche et obstinée. Avec quoi s’approche-t-elle du Christ ? Avec quoi le touche-t-elle ? Pas avec ce qui en elle est sain ni riche ni bien-portant. Non, ce qui la pousse auprès de lui, ce qui triomphe de la foule des obstacles, c’est précisément ce qui fait sa ruine, sa honte, ce qui chaque jour la met un peu plus proche des portes de la mort. Ce qui en moi, en nous a besoin, et c’est urgence, du Seigneur, ce qui en moi peut le toucher et obtenir sa grâce, c’est ce qui a précisément besoin de vie et de la guérison. En nous approchant du Christ, approchons-nous avec ce qui, en nous, nous porte vers la mort – notre faiblesse et nos péchés ; n’ayons pas peur de le contaminer, sa vie et sa vitalité sont les plus contagieuses. Il est capable et à désir de restaurer en nous l’image et la puissance de la vie.
Notre vocation chrétienne, peut-être on pourrait la dire ainsi : se lever chaque matin pour être des vivants et pour nourrir la vie des hommes ; se lever, et traverser les foules de notre temps et les tumultes de nos cœurs, congédier avec la grâce du Christ et sa douceur, tout ce qui en nous, autour de nous, est empêchement à vivre.

Mais après la femme guérie, voici qu’on dit à Jaïre : « Ta fille est morte, à quoi bon encore déranger le maître ». Il y a des situations désespérées, où il n’y a plus place que pour le deuil et les lamentations. Il y a la mort, à quoi bon déranger le maître ? Pourtant, c’est la leçon des deux miracles de ce jour, c’est l’espérance du matin de Pâques : leçon de vie et espérance pour la vie. C’est précisément là où la mort l’emporte en nous, autour de nous, précisément là qu’il y a urgence de déranger le maître. À la porte de nos églises, au seuil de notre cœur, il y a un panneau où il est écrit :
“Lieu de silence et de recueillement, le maître est là : prière de déranger “. Car il ne nous dit qu’une seule chose, ce maître : « Debout, ma fille ; lève-toi, jeune homme : écoute et mange la parole et le pain de ma vie ».

Saints Pierre et Paul – 29 juin – Deuxième personne du singulier

On est à Césarée de Philippe, ville nouvelle en terre païenne – c’est-à-dire quelque part dans l’espace. On est après de grands miracles et de profonds enseignements, et juste avant l’annonce de la passion – quelque part dans le temps. Et c’est un cœur et une personne singulière qui parle ici : Simon, fils de Jonas. Il y a quelqu’un, quelque part et à un moment donné, qui parle en son nom propre. La confession de foi de Pierre est située, dans le temps et l’espace d’une vie particulière. Elle sera reprise et assumée par les apôtres, demain par Paul ; reformulée et développée, en d’autres lieux et d’autres temps, par d’autres voix qui l’auront entendue et reçue pour la dire à la première personne : « Je crois : tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ».
Le premier mot de cette foi, la pierre de fondation, ce n’est pas « Fils du Dieu vivant » ni même « Messie », c’est : « toi ». C’est parce que Pierre, Paul et tous les autres ont fait l’expérience et la rencontre d’un autre qui est quelqu’un pour moi, qu’il y a Église. Le premier mot de notre foi, c’est « toi ».

Juste après l’Évangile de ce jour, Jésus interdit à ses disciples de dire à personne « qu’il est le Messie ». Le temps pour eux de découvrir que ce Messie règne par la croix, qu’il est le fils obéissant au Dieu qui mène à la vie. Il faudra un peu de temps encore, à Pierre et aux apôtres, pour découvrir, en compagnie et par la grâce de ce « toi », que nous sommes, nous aussi, les fils vivants de « notre Père ». On peut aussi, je crois, entendre ainsi pour nous l’interdiction que formule Jésus : ne dîtes à personne qu’il est le Christ, dites d’abord « Tu es mon Dieu, quelqu’un pour moi ». La pierre, encore une fois, ce n’est pas « lui », ce n’est pas « il », le fondement, c’est la deuxième personne du singulier. Il y a Église en fondation dès lors qu’une voix ose dire « Mon Dieu, c’est Toi », dès lors qu’un cœur s’efforce de le vivre, en son temps et en son lieu particulier.

« Heureux es-tu », dit Jésus à Simon-Pierre. C’est une béatitude. Elle vient après celles du sermon sur la montagne, quelques pages et quelques mois plus tard, mais c’est celle-là, heureux qui croit, qui fonde et unifie toutes les autres. Parce que quelqu’un quelque part dit à Jésus : « Tu es mon Dieu », le bonheur du Royaume se maintient et se déploie. C’est parce qu’il y a eu sans cesse « toi » que les larmes de Pierre ont été consolées ; que la violence de Paul se convertira à la justice du Royaume ; à cause de Toi, qu’ils reçoivent le pardon sur une plage ou sur la route ; qu’ils apprendront l’un et l’autre la douceur, la pauvreté du cœur, à être pacifiques ; c’est à cause de Toi qu’ils sont heureux d’être persécutés en son nom ; qu’ils connaissent la paix d’un dimanche de Résurrection.

Heureux, nous aussi, parce que ce n’est ni la chair ni le sang, ni d’abord une tradition ou bien un catéchisme, qui nous font dire « Tu » à Dieu. C’est Dieu lui-même qui se révèle et qui se donne – n’hésitant pas d’ailleurs à passer par les traditions et catéchismes pour ce faire. Suivant les heures, les lieux et les personnes : c’est une évidence paisible, c’est la nuit ou la tempête ; la foi est bien active ou semble s’assoupir, peut-être paraître morte. Mais, heureux sommes-nous, elle est un don de Dieu : à Pierre, à Paul et à chacun de nous ; les dons de Dieu sont sans repentir ni repentance. Et si ma foi est vive, alléluia ; que Dieu la rende plus active ; si elle se meurt, que Dieu la ressuscite. Dire “Tu” à Dieu, par Jésus Christ : c’est notre meilleure part, nul ne pourra nous l’enlever.