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12ème Dimanche du TO B

Fr Antoine Odendall op

Mc 4. 35-41

N’avez-vous pas encore la foi ?

Mais qu’est-ce qu’on a encore fait ? Si j’avais été un des apôtres, je crois que je me serais souvent posé cette question.
Jésus ne les ménage pas beaucoup …
Ils lui obéissent au doigt et à l’œil, ils le conduisent sur l’autre rivage quand il le demande ; Ils font ce qu’ils peuvent pour rester en vie dans la tempête pendant que Jésus dort paisiblement, ils le réveillent à la dernière minute, pile au bon moment pour rester en vie, mais ils se font quand même gronder une nouvelle fois :
N’avez-vous pas encore la foi ?
Est-ce un tort si grand que d’avoir peur de la mort, de la tempête et du danger ? Auraient-ils du laisser Jésus dormir tranquillement ?
Auraient-ils dû le réveiller plus doucement ?
Pourquoi cette sévérité du maître ?
N’avez-vous pas encore la foi ?

Leur tort, ce n’est pas tant d’avoir mal considéré le danger. Ce n’est pas de s’être agité, ni même d’avoir crié au secours.
C’est comme dit saint Paul : d’avoir considéré Jésus de manière trop humaine. C’est de ne pas avoir compris que celui qui dort paisiblement sur ce coussin, est le même que celui qui parle dans la première lecture et qui dit à Job :
Je dis à la mer : “Tu viendras jusqu’ici ! tu n’iras pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots !”
Celui qui sur son coussin semble à la merci de la mer est en fait celui devant qui l’océan tumultueux n’est qu’un petit enfant. Il était là quand le Père l’a fait sortir du sein et vêtu de langes. Il était là au commencement de toute chose. Il est cette parole que le Père dit, il est celui par lequel toutes les choses sont. Il peut ainsi dire à la mer, et à toute créature qui semble incontrôlable : Silence, Tais-toi.
« N’avez-vous pas encore la foi ? »
Les apôtres qui regardent le Christ, ne voient pas encore cette puissance du Verbe de Dieu. Ils le regardent d’une manière simplement humaine : et voilà leur tort.

Alors c’est facile de critiquer les apôtres en 2021 au monastère de Chalais. D’abord parce que nous sommes solidement fixés à la montagne, 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et non pas dans une barque en pleine tempête… Ensuite parce que nous sommes encore plus solidement fixés sur deux millénaires de christianisme, avec des conciles qui n’ont cessé de nous répéter que oui, Jésus est vraiment Dieu, Dieu né de Dieu.

Mais alors notre question revient ! En pleine mer déchaînée, et avant les conciles, pourquoi Jésus est-il si sévère avec les apôtres ?
« N’avez-vous pas encore la foi ? »

Peut-être parce que certains qui en savaient moins que les apôtres, ont cru d’avantage.
C’est le cas de l’un de ces dix lépreux qui a reconnu que Jésus était la source de sa guérison, qui est revenu seul, alors que les neuf autres sont partis, et à qui Jésus a dit : « Ta foi t’a sauvé ».
C’est le cas de cet aveugle près de Jéricho qui alors qu’il ne voit rien, est le seul dans la foule à reconnaître en Jésus le Fils de David. « Retrouve la vue ! lui dit Jésus. Ta foi t’a sauvé. »
C’est le cas de ce centurion qui a des soldats sous ses ordres. Qui dit à l’un: “Va”, à un autre : “Viens”, qui reconnaît à Jésus la même autorité sur toute maladie et toute infirmité, que lui sur ses soldats. « Jamais en Israël, dit Jésus, je n’ai trouvé une telle foi… »

N’avez-vous pas encore la foi ?
Alors que d’autres qui ont simplement entendu mon nom ont cru que je pouvais toute chose, vous qui êtes mes amis, vous qui me suivez, vous n’avez pas compris…
Alors que d’autres qui ont perdu la vue arrivent à me reconnaître de loin, à travers la foule, vous qui êtes mes plus proches, qui me côtoyez chaque jour, vous ne savez toujours pas qui je suis. Vous n’avez pas encore la foi…

Si la sévérité de ce reproche nous touche, c’est bien sûr parce qu’il ne concerne pas que les apôtres. Il ne se limite pas à cette petite barque là. Il concerne, depuis 2000 ans, tous les amis de Jésus, qui sont montés dans la barque avec lui, et qui de temps en temps sont pris par la tempête, sans parvenir à croire que Dieu est avec eux. Nous sommes, nous aussi, dans cette barque, avec le Christ.
Et souvent, nous n’avons pas la foi…
Devant les difficultés nous regardons nous aussi de façon trop humaine Jésus qui dort et semble nous abandonner.

Dieu ne peut rien pour moi. Il n’est pas là. Ma barque se remplit d’eau, menace de se retourner, et Dieu n’est pas là.
Et nous envions alors les apôtres qui eux pouvaient au moins voir Jésus dormir sur le coussin, et aller le réveiller !
Mais moi je ne vois rien.

A ce moment précis, doit résonner la parole du Christ dans notre cœur :
N’as-tu pas encore la foi ?
Alors que je viens à toi dans chaque Eucharistie, alors que je te donne aujourd’hui ma chair à manger et mon sang à boire, alors que je suis là dans ce corps que tu formes avec tes frères, réunis en mon nom, alors que je me cache derrière le visage de chaque pauvre que tu croises, alors que je suis présent dans chacun de tes frères, dans chacune de tes sœurs… Alors que je suis toujours là, présent, à l’intime de toi-même, tu es encore saisi de crainte sur ton bateau, et tu ne viens pas me chercher là où je suis ; tu ne viens pas me réveiller là où tu m’as laissé m’endormir.

N’avez-vous pas encore la foi ? Que cette question nous invite à imiter ceux qui ont eu cette foi avant nous, afin que nous aussi, nous soyons sauvés par cette foi !

Comme ce lépreux, considérons tous les bienfaits de Dieu dans notre vie, osons faire demi-tour, osons reconnaître en Jésus la source de tout don, et le remercier pour ce qu’il nous donne.

Comme l’aveugle, interpellons Jésus là où il est malgré les protestations de la foule qui cherchent à nous faire taire : dans l’hostie, dans le silence de l’oraison, dans le visage de nos frères, dans le regard d’une sœur. Disons comme lui : « Jésus, Fils de David, prends pitié de moi. »

Comme le centurion, répétons dans notre cœur : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole, et je serai guéri. »