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28ème Dimanche du TO - B

Fr Alain Durand op

11 octobre 2015

Marc 10, 17-27 Le jeune homme riche

Lorsqu’il prend la parole, Jésus ne fait pas dans la conversation mondaine ou dans le discours moralisateur : il parle en prophète du Royaume Dieu.
Pour lui, en effet, le Royaume de Dieu est en train de s’approcher et cette proximité crée une situation d’urgence. C’est l’annonce de ce grand bouleversement qui sous-tend ses paroles. De quoi s’agit-il ? Pour le rappeler brièvement, il s’agit de la transformation radicale de ce monde tel qu’il deviendra sous l’effet de la réconciliation de l’homme avec Dieu, avec les autres, avec soi-même et avec le cosmos : Dieu sera alors pleinement et manifestement au centre de tout.
C’est dire qu’il y a une différence profonde entre ce monde-ci tel qu’il est et le monde nouveau dont Jésus annonce la vnue. Dès le départ, Jésus manifeste la radicalité de son point de vue en répondant à l’appellation de « bon maître » par ces mots : « Dieu seul est bon. » C’est comme si, à la sortie de la messe, l’un d’entre vous m’abordait en m’appelant « mon père » et que je lui réponde « Dieu seul est père »…
Dans la suite du récit, Jésus fait une brèche dans le monde de la Loi. Je ne parle pas de ces multiples lois qui enserraient l’existence du Juif observant, mais de la loi réduite à son essentiel, à savoir le Décalogue. Jésus en rappelle les grandes orientations : « Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » Tout cela est bien observé par le jeune homme riche, et Jésus, qui estime cette loi, s’en réjouit. Ne pourrait-on pas en rester là, puisque l’essentiel est mis en œuvre ? Non, Jésus estime que ces très bonnes orientations de la loi ne suffisent pas. Il va en quelque sorte passer au travers de ce bouclier de la loi qui sert de protection à ceux qui recherchent la sainteté. Il va au-delà du règne de la Loi en faisant surgir tout à coup la perspective et l’idée de Royaume de Dieu : alors on change de plan… on entrevoit un univers insoupçonné, celui dont saint Paul dit « qui n’était pas monté au cœur de l’homme »
Par delà la Loi, Jésus propose en effet une façon de vivre toute différente, au point que les apôtres eux-mêmes y perdent leurs repères. Jésus effectue une véritable percée en direction du Royaume, de ce que l’on peut appeler l’utopie du Royaume (à la condition de comprendre l’utopie comme un avenir qui mobilise dans le présent). On quitte les façons habituelles de faire, on dépasse les normes mises en œuvre dans la société. Ici, la venue du Royaume dans notre monde s’exprime dans l’appel de Jésus à la pauvreté… Il y a bien d’autres percées de ce genre dans les Evangiles : appel au célibat pour le Royaume, appel à la fidélité conjugale en sorte que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni, appel à pardonner sans mettre de limite au pardon, appel à aimer ses ennemis, savoir renoncer à tout privilège (y compris celui d’être l’un à la droite et l’autre à la gauche du Christ), appel à se faire le serviteur et le dernier de tous au lieu de vouloir être servi par les autres, etc. Ce sont là des façons nouvelles de vivre qui ont leur racine dans la proximité du Royaume. Autant de ruptures avec les « bonnes façons de vivre », autant de percées qui traversent le champ bien ordonné des préceptes éthiques habituels.
Il y a tension entre deux façons de vivre : selon la Loi, selon le Royaume. Nous sommes invités à vivre selon cette façon nouvelle, en rupture avec les objectifs qui sévissent dans ce monde : recherche de l’argent, pouvoir, prestige, sexe, honneurs.
Bien sûr, il nous faut reconnaître que nous ne sommes jamais à la hauteur du Royaume (qui peut prétendre, par exemple, avoir tout abandonné pour suivre le Christ ?). Ce que propose le Christ est une façon tellement nouvelle de vivre !
En même temps, bien que nous ne soyons jamais à la hauteur, il est essentiel de ne pas désespérer, de ne pas nous décourager et de garder une attitude d’accueil qui consiste à nous laisser travailler, interroger, pénétrer peu à peu par ces paroles du Christ, Il s’agit bien de nous laisser ébranler par ses provocations évangéliques… alors même que nous restons loin de leur mise en œuvre !
Trois remarques pour terminer :
Les paroles de l’évangile qui naissent de l’urgence du Royaume de Dieu s’adressent à tous. Ainsi en est-il de l’appel à la pauvreté. Ce n’est pas une parole réservée à une élite. Non, l’appel du Christ s’adresse à tous : « Va, vends tes biens, donne-les aux pauvres et suis-moi »
Si on tombe en dessous des exigences du Royaume, ce n’est pas une condamnation qui nous attend (car on est en dehors du système de la loi), mais c’est la main tendue du Seigneur qui vient nous consoler de nos faiblesses, nous pardonner et nous relever.
Nous vivons à la frange, à la lisière de ce monde-ci et du monde nouveau qu’est le Royaume. Si on fait comme s’il n’y avait que le Royaume désormais, gare à l’intolérance, à la rigidité, au refus de toute concession et finalement de vraie miséricorde et on court le risque d’oublier comment se pose concrètement les questions dans le quotidien des vies. (Danger que l’on peut percevoir dans les débats actuels sur les divorcés remariés, etc.). Mais si on ne tient compte que de ce monde-ci, on supprime la question même du Royaume et il n’y a plus qu’à se laisser vivre au gré des impulsions et des lois de ce monde. Il n’y aurait plus de Royaume de Dieu à l’horizon pour féconder nos vies.