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Mémoire du Bx Mannès 2011

Frère Benît Ente op

18 août 2011

Il y a 800 ans, Dominique parcourait les villes et villages pour annoncer le Christ. Mais aujourd’hui un tel zèle risquerait de passer pour un prosélytisme agressif. Certes à notre époque, il y a une diversité de religions qui ont chacune le droit de s’exprimer librement. Mais à une condition : rester chez soi et ne pas empiéter sur le terrain du voisin, ou sur le terrain de l’espace public. Comme le dit le proverbe normand « chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. » Mieux vaut donc rester tranquillement entre croyants… Mais l’Évangile que nous venons d’entendre nous dit autre chose qui nous pousse hors de nos frontières : « de toutes les nations, faites des disciples. » Une question se pose : comment annoncer le Christ aujourd’hui ? A partir du modèle de st Dominique, je formulerai une réponse en trois temps :
trois renoncements qui ouvrent sur trois fragilités.
1. La fragilité de la communauté
Le premier renoncement est celui d’un itinéraire individuel et solitaire : Je construis ma propre vie, ma carrière sans dépendre de personne. Ce modèle de vie fait fureur car il semble permettre une pleine liberté. Renoncer à cela c’est accepter la fragilité de la communauté. Communauté au sens large, pas seulement religieuse mais aussi la famille.
La vie à plusieurs sous un même toit est fragile parce que chaque jour il faut composer avec l’autre, celui qui est incertain, imprévisible, avec ses handicaps, ses lenteurs ou pire ses obsessions et ses troubles. C’est être exposé à des incompréhension voire des doutes comme les disciples dans l’Évangile.
De plus, en fréquentant l’autre, je risque de l’aimer de m’attacher à lui, ce qui est plus grave parce que dans ce cas une part de lui vivra en moi, me transformera et pourra me faire souffrir. Pour composer avec l’autre, il faut acquérir de la souplesse et consentir à de multiples petits compromis, accepter de briser chaque jour le doux rêve de ma vie idéale et le remplacer par un avenir taillé sculpté avec la main de l’autre.
Oui, le choix de la famille ou de la communauté est un choix fragile qui nous place dans une position de non maîtrise et de dépendance. Mais c’est ce choix que Dominique a fait car il permet de témoigner d’un Dieu présent et agissant à travers mon frère, ma sœur, mon conjoint, mes enfants, mes amis et même mon ennemi.
2. La fragilité de la parole
Passons au deuxième renoncement : user de la force pour mener la mission. Renoncer à cela, c’est choisir uniquement la fragilité d’une parole. Les quatre lectures de ce jour nous le disent : Isaïe parle des messagers de la bonne nouvelle, non de soldats ; le psalmiste demande d’aller dire « le Seigneur est roi » non de faire autre chose ; Paul exhorte Timothée de proclamer la Parole et Jésus demande d’enseigner. Ce fut le choix de Dominique. Quand il a voulu instruire les siens en proclamant l’incarnation du Christ dans la chair venu sauver la création entière, il a refusé tout moyen de coercition, contrairement à ce qu’a fait l’inquisition après lui.
Faire le choix de s’appuyer sur la force d’une simple parole est fragile car le résultat dépend de la libre volonté de celui qui écoute. Le disciple s’expose à un refus, à l’échec, surtout lorsqu’en face se trouvent des individus qui, eux, usent de la force. La tentation est alors grande de faire de même. C’est pourquoi Paul prévient Timothée par avance de ne pas se décourager si beaucoup abandonnent l’enseignement solide pour ce qui semble toujours nouveau. Car la parole ne donne pas un fruit immédiat, mais comme la graine met du temps pour arriver jusqu’au fruit, la parole demande de la patience pour pénétrer le cœur de l’homme.
Ce discours vous semble usé ? Vous vous dites que depuis longtemps l’Église défend la liberté religieuse et qu’elle n’use plus de la force pour annoncer la Parole de Dieu. C’est vrai, mais derrière le mot force, il n’y a pas seulement la force physique, mais aussi la puissance de l’argent. Et sur ce point, du chemin reste encore à parcourir.
3. La fragilité d’un Parole fondée
Mais le choix d’une mission qui s’appuie uniquement sur l’annonce d’une parole ne suffit pas. Encore faut-il savoir de quelle parole nous parlons. Cela nous amène au troisième et dernier renoncement : celui d’une parole facile, racoleuse qui agite un optimisme illusoire ou un pessimisme apocalyptique. Face à cette impasse, nous devons faire le choix de la fragilité d’une parole d’espérance fondée dans la Vérité.
Cela signifie d’accepter de se frotter à la pensée contemporaine, aux autres traditions religieuses, d’oser s’exposer aux critiques et d’avoir à rendre des compte, à nous expliquer. Paul insiste auprès de Timothée « avec le souci d’instruire » ou quand il lui parle « d’enseignement solide ». Ce fut le choix de Dominique quand il envoya ses frères étudier dans les universités.
Mais fondée dans la vérité signifie aussi fondée dans la vérité d’une expérience personnelle. C’est-à-dire proclamer non pas un discours abstrait et purement spéculatif mais une parole nourrie par un vécu, par une relation avec Dieu et avec l’autre. Quand Matthieu fait le choix de mentionner le doute des disciples, il renonce à un discours lisse et brillant pour une parole qui rend compte d’une expérience humaine spirituelle authentique avec ses gloires et ses pesanteurs.
Frères et sœurs, faire le choix de la fragilité pour annoncer le Christ mort et Ressuscité peut sembler une perte de temps, un gaspillage d’énergie. C’est pourtant ce chemin que Dominique a pris. Et notre présence aujourd’hui à Chalais témoigne de la fécondité de ce choix. Car en réalité tout autre manière de faire sera vouée à l’échec. Jésus-Christ le premier, malgré les risques s’est entouré de disciples en qui il a fait confiance. Jésus-Christ le premier a refusé un pouvoir temporel pour limiter son action à l’annonce d’une Parole. S’il a fait cela, c’est parce que, par ce choix de la fragilité, une force se manifeste, une force bien plus grande que tout ce que nous pourrions déployer par nos propres moyens humains. Dans l’Évangile que nous avons lu, le pouvoir n’a pas été remis aux disciples, mais au Christ. C’est la force du Christ Ressuscité lui-même qui nous sauve et c’est précisément cette force, celle de Dieu, qui se déploie dans les fragilités, dans nos fragilités. Cette force n’est autre que la force de l’Amour.
Alors chers frères et sœurs n’ayons pas peur de suivre Dominique sur le chemin de la mission et d’annoncer la Bonne Nouvelle du Christ aujourd’hui, mais pas n’importe comment. En empruntant la voie de la fragilité car par cette voie c’est Dieu lui même qui parlera en nous.