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L’accomplissement

Fr Hubert Cornudet op

8 août 2009
Notre Père Saint Dominique s’est beaucoup préoccupé de la prédication au point que l’ordre s’appelle l’ordre des prêcheurs. Humblement, et je l’espère en bon fils de Saint Dominique, je ne vais pas beaucoup vous parler de sa vie, mais plutôt – comme un dimanche ordinaire – me préoccuper des textes que nous venons d’entendre.
Le coeur du sermon sur la Montagne, lui, il est moins dans la mise en oeuvre d’une parole ou dans l’observance d’une loi que dans la communion au comportement de Jésus. La prédication de Dominique, elle s’enracine dans sa vie de prière dans le cloître de la cathédrale d’Osma. La lumière qui brille ne peut provenir que d’un coeur à coeur intime avec le Christ. C’est là en partie votre mission et c’est pourquoi vous rayonnez. Nous sommes des hommes ordinaires qui craignons l’épreuve, la maladie, mais nous sommes aussi des hommes qui modestement et fragilement conservent et chérissent une lumière d’espérance pour notre monde. Nous sommes la lumière du monde… et bien entendu nous devons briller par notre charité et par notre sens de la justice qui seule assure la paix et donc la réalisation de l’évangile ; je sais, cela sonne théologie de la libération, mais le slogan « pas de paix sans justice » est de Jean-Paul II.
“N’allez pas croire que je sois venu abroger la loi ou les Prophètes, je ne suis pas venu abolir mais accomplir”. D’entrée de jeu, la relation entre la Bonne nouvelle, l’évangile, et la loi est présentée non en termes d’oppositions ou de ruptures mais en accomplissement ou en dépassement. Jésus s’empressera de prendre des exemples pour bien illustrer son propos.
Avant de regarder de plus prêt la nouveauté radicale de celui-ci, nous sommes obligés très rapidement de revenir au don de la loi, celui fait à Moïse dans les anciens temps.
Pour tout juif pieux, la loi règle les rapports des hommes entre eux et la relation à entretenir avec Dieu. L’observance de la loi, des dix commandements et de leurs déclinaisons, c’est à la fois le moyen d’adorer Dieu et de mettre en pratique une sorte de première déclaration des droits de l’homme. C’est une charte qui apprend aux hommes à vivre ensemble, qui leur rappelle qu’ils sont fragiles. Le permis et l’interdit, non pour brimer, mais pour nous protéger collectivement de nos propres turpitudes et défaillances. Le sens du contrat, non pas pour sanctionner, mais pour susciter la prise au sérieux de notre liberté.
Aujourd’hui encore, l’originalité du judaïsme, du christianisme et même de l’Islam réside sans doute essentiellement dans le fait que l’amitié et la faveur divine ont quelque chose à voir avec le sens de la justice et la dignité de l’homme.
Jésus accomplit la loi. De quoi s’agit-il ? Jésus ne place pas la perfection dans une observance tout extérieure. Ce qui compte en premier c’est l’intention du coeur. Il libère la Loi du légalisme et du conformisme.
Le deuxième accomplissement, c’est l’universalisme. Ce que chacun fait dans l’intimité a des répercussions sur le corps social tout entier. Ceci ne doit pas nous faire peur, mais bien au contraire nous conforter dans notre dignité propre. L’amour du prochain doit donc s’étendre à tous. Nous sommes invités à être bienveillants en tout temps, en tout lieu et à l’égard de tous. Voilà les exigences de la loi approfondies et expliquées par Jésus. Elles peuvent apparaître tout à fait irréalistes car nous sommes incapables d’être aimables avec tout le monde !
En fait la nouveauté, elle réside plutôt dans le fait que Jésus s’implique totalement dans sa parole. On vous a dit…. MOI, je vous dis. A ses yeux, ce n’est pas la loi qui est souveraine dans les rapports de l’homme avec Dieu. Ce qui prime c’est la proximité de Dieu. Le règne de Dieu ce n’est pas une charte, c’est une proximité. La relation de l’homme à Dieu ne se fonde pas sur l’impératif de la loi mais sur une révélation de tendresse, sur une perfection qui a pour nom : miséricorde et celle-ci est incarnée par Jésus lui-même.
J’espère qu’il vous est arrivé l’expérience que quelqu’un soit amoureux de vous. Que constate-t-on alors ? Alors que ceux qui nous aiment vraiment ne sont pas parfaits, que se passe-t-il ? Le contraire du poli, du nuancé, de l’habile ; face à cela nous pouvons perdre de l’assurance et être troublé devant un amour qui essaie d’être gratuit. Face à quelqu’un qui nous aime vraiment, nous sommes bien souvent désarmés. Malgré toutes nos contradictions, nous savons que l’amour humain n’est pas du côté de l’arrangement mais qu’il s’agit d’une tension à la fois allègre et déchirante dans nos corps et dans nos coeurs. Cette tension, elle doit de surcroît se conjuguer avec le temps, avec la durée, avec la fragilité, avec l’inconstance. Avant les mots, avant la loi, il y a des regards, il y a des pulsions. Avant le raisonnement, il y a le corps. Avant le jugement moral, il y a la vie. Refuser cela, c’est idéaliser, c’est refouler, c’est figer, c’est manipuler, c’est se manipuler.
Le problème des scribes et des pharisiens, c’est que chez eux la lettre est première. C’est bien souvent notre problème. Or la loi, c’est la chair ; la loi c’est l’incarnation ; il y a deux béatitudes qui sont au présent, et ce sont les deux seules qui parlent du royaume. C’est donc que le royaume est au présent, qu’il est la terre de cette loi qui s’accomplit aujourd’hui.
L’INCARNATION c’est la réalité du désir de Dieu qui veut être pleinement homme. Toutes les hérésies consistent à nier, à atténuer, à édulcorer ce mystère d’un dieu qui veut être homme. C’est même pour cela qu’il y a une révolte chez les anges. Pas plus que le bien et le mal impossibles à distinguer, pas plus, ne le sont l’âme et le corps. C’est cela qui se dégagera des exemples pris par Jésus.
L’autorité et le ton déployé par Jésus nous suggèrent qu’il proteste. Il entre en guerre contre la religion et du même coup signe son propre arrêt de mort. Il le sait. Dieu condamne la religion et la religion ne tardera pas à le lui rendre. La religion mettra Dieu à mort.
Aujourd’hui, Jésus manifeste son désir le plus profond : il n’est pas contre la loi, il ne veut pas la supprimer. Il n’est ni anarchiste ni soixante-huitard. Jésus n’entame pas un combat politique gauchiste. Il ne réclame qu’une une seule chose : c’est que désormais la loi ce soit l’homme.