
23 ème dimanche du TO -année C
Fr Jacques-Benoit Rauscher
Lc 14, 25-33
Chères sœurs, chers frères,
Quand on célèbre la mémoire de saints, il y a toujours un petit risque. Lire leur vie, faire mémoire d’eux comme on regarderait une compétition sportive de haut niveau ou comme on s’extasierait devant les photos d’un mariage princier. Quelle performance extraordinaire pour cet athlète ! Quel vêtement somptueux pour cette tête couronnée ! Quelle splendeur dans la suite du Christ pour ce saint ! C’est magnifique, c’est grandiose, c’est transcendant ! Mais quant à moi, j’éteins la télé, je ferme le magazine people ou je range la pieuse biographie … et je reprends le train train de mon existence après ces quelques minutes où j’ai jeté un œil sur une vie que je ne vivrai jamais. Eh bien cette attitude ne devrait jamais être celle d’un chrétien à l’égard de la sainteté ! Nous ne devrions jamais regarder la sainteté comme quelque chose qui ne nous concerne pas. Et cela tombe bien car, en ce dimanche de canonisations, l’Évangile que nous venons d’entendre nous demande à tous de choisir le chemin de la sainteté. Mais il fait plus que nous y inviter. Il nous donne deux bâtons à solidement tenir pour avancer vers la sainteté. Je dis bien DEUX bâtons qu’il ne faut pas lâcher. Quels sont-ils ?
Le premier de ces bâtons est celui auquel on pense le plus facilement à propos de la sainteté. Il s’agit d’un bâton de la radicalité. Cet Évangile nous le dit sans détour : la vie chrétienne est difficile. Elle ne tolère pas de demi-mesure. Elle implique un choix qui n’admet en aucun cas la frilosité : « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple ». Notez bien que cette radicalité ne concerne pas je ne sais quelle élite. Elle est la condition même du disciple du Christ. Trop souvent, je crois que nous cherchons à édulcorer cette nécessaire radicalité. Pourtant, je vous invite à relire précisément l’Évangile et même tout le Nouveau Testament. Si Jésus se montre toujours miséricordieux à l’égard de ceux qui chutent, il est d’une extrême rudesse avec ceux qui ne s’engagent qu’à moitié sur le chemin. « Qui n’est pas avec moi est contre moi »… « Puisque tu es tiède, je te vomirai de ma bouche ». Oui la vie chrétienne est parfois difficile ; oui la Parole de Jésus est parfois un glaive qui oblige à des choix déchirants. Évacuer cette réalité pour être mieux reçu ou pour rendre notre message plus sympathique, c’est falsifier l’Évangile. Le bâton de la radicalité fait partie de l’attirail du chrétien. Qui que nous soyons, il nous faut faire le ménage dans notre vie et traquer impitoyablement ce qui n’est pas conforme à la suite du Christ.
Mais la radicalité n’est pas le seul bâton qu’il faut tenir en main pour gravir la montagne de la sainteté. Pour être certain d’arriver au sommet sans être déséquilibré, il ne faut pas oublier de se munir d’un second bâton. Ce second bâton, je l’appellerai le bâton de la prudence. La prudence est l’attitude que Jésus décrit quand Il nous invite, dans l’Évangile de ce jour, à nous asseoir et à considérer les forces dont nous disposons effectivement.
La prudence est cette disposition qui consiste à adapter la fin aux moyens, à se connaître suffisamment pour choisir les moyens qui nous permettront d’arriver au sommet, résolument certes, mais à notre rythme propre. A un rythme qui peut être différent de celui du voisin. A un rythme qui nous conduira à consentir à faire peut-être des détours parce que nous ne pouvons attaquer des pentes trop raides. La prudence est trop souvent confondue avec cette tiédeur que Jésus réprouve. C’est vrai que le prudent et le tiède peuvent se retrouver dans le groupe de ceux qui s’arrêtent à mi-parcours en raison de la difficulté du chemin. Mais là où le tiède se dira que rester à mi-chemin est bien suffisant pour lui, le prudent après s’être assis, ne perdra jamais de vue le sommet à atteindre. En somme, saisir le bâton de la prudence, c’est accepter de progresser dans la connaissance de soi-même et de son environnement. C’est refuser de rêver que l’on pourrait faire autrement si l’on avait d’autres dispositions ou si l’on vivait dans des structures meilleures. C’est saisir avec lucidité la réalité très concrète de nos vies pour nous rappeler que c’est avec elle et pas malgré elle que nous sommes appelés à avancer. Frères et sœurs, le chrétien doit se munir de ces deux bâtons : radicalité et prudence. Toujours les deux ensemble. Le chrétien qui ne voudrait accéder au sommet qu’avec le bâton de la radicalité risque le claquage. Aller haut, trop vite, c’est l’accident garanti. Le chrétien qui ne voudrait marcher qu’avec le bâton de la prudence risque de le confondre avec la frilosité en se disant que le sommet est trop haut pour lui. Tenons donc ces deux bâtons car nous sommes tous appelés à aller aux sommets. Verso l’alto. C’était la devise de Saint Pier Giorgio Frassati. Il nous entraîne et nous accompagne sur ce chemin. Verso l’alto. Alors, courage et prudence… mais surtout : bonne route vers les sommets !